HERITECH Forum

La crise sanitaire, une opportunité de réinterroger le rapport du patrimoine au numérique
19 avril 2024

Le numérique dans le secteur culturel : la fin du numérique gadget, l’âge de la maturité

Les technologies numériques ont fait la preuve de leur valeur ajoutée que ce soit au service de l’expérience visiteur ou de la conservation du patrimoine, après une quinzaine d’années d’expérimentations et de déploiements.

L’expérience que le CMN a mise en œuvre avec la société Histovery à la Conciergerie depuis 2016 est un bon cas d’école. Les tablettes proposées aux visiteurs permettent de remonter dans le temps grâce à la réalité augmentée et donnent à voir les lieux au moyen-âge et pendant la révolution française. Le taux de prise de 7% est élevé pour un dispositif payant à 5€, les retours des visiteurs sont excellents avec une moyenne de notes de satisfaction à 4,5/5.

Plus récemment, au Château de Nogent le Rotrou, l’expérience de réalité augmentée mise en œuvre en 2019 par la société AGP a permis de doubler la fréquentation du monument la première année. Un retour sur investissement était estimé à 3 ans pour la ville, qui avait investi 60 000€ en complément de l’Etat et de la Région.

Ces expériences prouvent que le numérique peut devenir un vrai levier pour augmenter l’attractivité des lieux culturels, quant il est pensé dans la globalité de l’expérience visiteur, sans être une fin en soi, tout en permettant une expérience collective en famille, entre amis.

A l’inverse, on voit de moins en moins de contre-exemples, où le numérique est utilisé à outrance, dans un objectif d’image, d’affichage d’une modernité « hors sol », sans prise en compte des besoins des visiteurs ou des conséquences en termes de maintenance des équipements.

 

Un défi avec la crise du COVID: repenser notre modèle, faire face à notre premier concurrent… Netflix

Dans ce contexte d’arrivée à maturité du numérique, la crise du COVID est un tsunami économique pour le secteur culturel et nous estimons au Centre des Monuments Nationaux une année 2020 à 40% de la fréquentation de l’année 2019 avec de fortes disparités entre Paris et les autres régions. Alors que les licenciements se multiplient outre-atlantique, le MET annonçant le licenciement de 20% de ses effectifs, nous avons la chance en France de bénéficier du soutien des pouvoirs publics. Cependant, la situation actuelle nous oblige à repenser notre modèle fondé sur une recherche de la croissance de la fréquentation et d’un visitorat international, dans un contexte ou l’ACI Europe ne prévoit pas de retour à la normale du trafic aérien avant 2024[1].

L’enjeu aujourd’hui pour les acteurs du patrimoine et les institutions culturelles en général, est d’arriver à se recentrer sur leurs publics de proximité, à attirer de nouveaux publics, à amener d’anciens visiteurs à renouveler leur visite.

La concurrence est rude avec le développement de spots culturels ex-nihilo à la frontière entre culture et entertainment, à l’image des bassins de lumières de Culturespaces aux docks de Bordeaux ouverts au printemps 2020 et qui visaient, hors COVID, une fréquentation de 350 000 visiteurs annuels.

Au delà, de la concurrence de ces nouveaux lieux, la récente étude du ministère de la culture sur les pratiques culturelles des français[2]montre que les 15 – 25 ans sont pour une grande partie adeptes du tout numérique, avec des pratiques culturelles peu diversifiées, centrées sur la vidéo et la musique. Une génération émergente, peu encline à la visite in situ, et que les institutions culturelles se doivent de conquérir pour assurer le renouvellement de leur visitorat face aux grands gagnants de la crise que sont les GAFAMN. (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Netflix).

 

Une opportunité pour inventer ensemble de nouvelles expériences narratives. Nos forces : une filière française d’excellence, la collaboration avec les territoires

Les crises sont des accélérateurs de changement et de transformation. Celle que nous vivons actuellement a provoqué une accélération des pratiques numériques du grand public.Pendant le confinement, les institutions culturelles ont vu leurs audiences en ligne progresser massivement, leur permettant de toucher un public en ligne plus jeune et plus international. La crise a également développé l’utilisation de la e-billetterie, des QR codes, et des visioconférences. Pendant le confinement, 15% des français ont expérimenté des visites virtuelles, ouvrant la voie à l’émergence de nouveaux services potentiellement monétisables, comme les visites guidées à distance.

Plus globalement, cette crise pourrait nous amener à accélérer le déploiement des technologies immersives (réalité virtuelle, réalité augmentée) qui répondent à de fortes attentes des publics, en particulier des plus jeunes.

En 2019, 41% des Français avaient déjà eu une expérience en réalité virtuelle et 91% souhaitaient renouveler l’expérience[3]. 71% des 18 – 24 ans étaient intéressés par le fait de visiter un monument en réalité virtuelle ou augmentée.

Ces technologies sont de merveilleuses machines à histoires. Quand elles sont utilisées à bon escient, elles ont le pouvoir de faire oublier la technologie et sont un formidable vecteur d’apprentissage et de diffusion culturelle, loin d’une « disneylandisation » que l’on pourrait craindre au premier abord.

En France, nous avons la chance d’avoir su faire fructifier une filière d’excellence dans la production audiovisuelle, les jeux vidéos et la conservation du patrimoine, un terreau qui a permis l’émergence de talents dans les technologies immersives, réalité virtuelle, réalité augmentée et numérisation. Nous disposons d’un vivier exceptionnel, tant des points de vue technologique, que narratif, avec des PME, des auteurs, des indépendants, des producteurs reconnus internationalement.

Cet écosystème est une opportunité pour les acteurs du patrimoine de créer de nouvelles expériences de visite qui peuvent leur permettre de renouveler leur visitorat. C’est dans cette optique que le CMN a lancé il y a trois ans son incubateur, avec l’ambition de soutenir les acteurs de l’innovation dans le patrimoine. Une des conditions de réussite des projets à venir reposera sur une mutualisation des efforts, des budgets, à l’échelle des territoires, des institutions, en associant régions, partenaires publics et privés car les investissements sont conséquents et les modèles d’affaires encore incertains.

 

Au delà d’une approche purement technologique : réinventons le patrimoine en l’inscrivant au cœur du lien social et des nouvelles pratiques du « slow-tourisme »

En parallèle, un second axe de développement émerge de cette crise. Alors que l’on assiste à un besoin grandissant de déconnexion, 80% des français se déclarant en 2019 en attente de déconnexion numérique[4], le « slow-tourisme » prend de l’ampleur. Au CMN, certains de nos monuments hors des sentiers battus ont vu leur fréquentation cet été dépasser celle de l’année dernière.

Cette crise est une opportunité de développer avec les acteurs locaux, un tourisme plus responsable et de sortir d’une approche de l’innovation purement technologique pour s’ouvrir à l’innovation sociale et durable. Elle nous ré-interroge sur le rôle des institutions culturelles et leur ancrage dans la vie des territoires. Un des leviers est la mise en place de projets transdisciplinaires, décloisonnant le patrimoine en l’ouvrant au design, à l’art et à la science. Ainsi, le CMN organise depuis 2 ans à Aigues-Mortes un appel à projet associant étudiants, agence de design et habitants, pour réaliser une installation éphémère sur la place d’armes[5]. On a vu également émerger ces dernières années des initiatives passionnantes, qui visent à faire des institutions culturelles des lieux de résidence pour des classes [6]ou des télétravailleurs. Une des conditions de réussite dépendra du soutien financier des pouvoirs publics et de notre capacité à diversifier nos sources de revenus. Par ces temps de crise, faisons en sorte que les lieux de patrimoine qui sont des lieux de sens et de transmission par excellence deviennent aussi des lieux de rencontres, d’échanges et d’inspiration !

 

[1]https://www.air-journal.fr/2020-07-19-aci-europe-chute-de-93-du-trafic-aerien-europeen-en-juin-5221550.html

[2]https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2020/Cinquante-ans-de-pratiques-culturelles-en-France-CE-2020-2

[3]Etude CNC, Réalité virtuelle et expériences immersives en France : quels usages ?, 2019

[4]Etude Orange / Opinion way, septembre 2019

[5]https://www.facebook.com/esdacmontpellier/posts/1707480022710214

[6]https://www.aam-us.org/2019/09/26/2019-award-winner-for-excellence-in-programming-classroom-in-residence-at-the-hammer-museum/



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